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Exploration frémissante d’un hôtel abandonné

Quatrième article de la série

Publié le 14 novembre 2025

L'entrée dans le silence

Je traverse le portail rouillé de l’ancien hôtel. Un pas suffisant pour franchir la grille, et l'air lui-même change. Une seconde avant, le bruit sourd, les voitures qui passaient... les bruits d’un village ; maintenant, c'est le silence. Absolu. C’est le choc de l’urbex.

Le vent glisse entre les pins, je sens l’humidité qui monte du sol sous mes bottes s’enfonçant dans l'herbe haute. L'atmosphère se densifie. Une frustration froide s'éveille, mêlée à une adrénaline vive. L'air n'a plus la clarté de la forêt ; il porte un parfum lourd de terre mouillée, de métal et de bois pourri qui m’assaille.

Je m'approche des façades, déjà dévorées par la végétation. La lumière du soleil est une merveille ici : elle se brise contre les vitres éclatées, dessinant des puits d'or sur le béton moisi. C'est le spectacle fascinant de la nature qui revendique son territoire, révélant la beauté des choses figées par le temps.

Je contourne une flaque d'eau terreuse. Le verre par terre chante un "crac" trop aigu sous ma semelle, un son trop vivant dans ce lieu mourant. La nervosité est là.

Premiers bruits, premières tensions

Et soudain, un mouvement furtif. Dans l'ombre sous l'escalier, une tache rousse. Un renard qui s'est réveillé de ma présence. Il me regarde, puis file au loin. Mon cœur s'emballe. Je respire à fond, l'odeur âcre de la poussière me pique le nez, presque pour me ramener à la réalité.

Puis, une nouvelle musique, irrégulière : CLAC…… CLAC.. CLAC… ! Ce n'est pas un être vivant. C'est l'eau. Une goutte tombant du toit, s'écrasant sur un objet métallique qui résonne dans la grande pièce, rappelant que l’être vivant ici, c’est la nature. Un bruit minuscule, mais qui résonne fort dans ce silence de cathédrale, comme le compte à rebours d'un temps oublié. Je me fige, tous mes sens tendus, à l'affût d'une voix humaine, d'un signe de danger.

J'étais si absorbé par les sons du dedans que j'ai manqué celui du dehors. Un moteur. Mon sang se glace. Une camionnette, une vieille Renault, s'est arrêtée devant le portail. L'ombre d'un homme qui traîne une caisse... Policiers ? Squatteurs ? Je me plaque contre le mur rugueux. Le temps est suspendu. Seul le tambour de mon pouls martèle mes tempes.

Puis, le moteur reprend. Le bruit s’efface. Ouf. L'adrénaline se retire doucement, laissant derrière elle un frisson. Je touche le mur, froid, avant de me tourner vers l'intérieur, fasciné par la beauté crue des murs écaillés et des tags fluorescents.

Le Sanctuaire Suspendu et le Toit Orange

Mon exploration m'appelle plus haut. C'est par cet escalier sombre que je dois passer. Je monte. Mes pas font écho. Je touche la balustrade, froide et rêche. En haut, un couloir étroit où les éclats de verre et les tuiles craquent sous mes chaussures.

Je découvre une pièce isolée : une chaise au centre, des cordes. Les mises en scène d'autres urbexeurs, leurs tags. Paradoxalement, leur présence amplifie le vide. C'est ce qui rend l'endroit fascinant : il a échappé à l'ère moderne, nous propulsant dans une autre époque, à cent mètres d'un village banal.

Mon regard est attiré par le toit principal. Il est orange, recouvert de milliers de tuiles brisées. Et là, sur un pilier, un détail : Une statue. Petite, en marbre. Elle est intacte. Tout est saccagé, mais elle demeure là, comme la gardienne du lieu. Elle est intouchable. Je lui donne une âme. Elle me rappelle qu'au milieu de cette décadence, il reste toujours un fragment d'éternité, une histoire figée.

L'Annexe Toxique et le Dernier Frisson

Je quitte le bâtiment principal, poussé par ma curiosité. L'annexe m'attend. Dehors, une petite structure. Dedans : des machines, et, de façon étrange, quatre toilettes alignées, entourées de tas de livres hébreux d’étude. C’est étrange et dérangeant. L'humidité est intense, l'odeur de renfermé. J'ai l'impression tenace que quelqu'un m'observe. L'adrénaline remonte.

Je me dirige vers la suite de ce mini bâtiment. Une piscine d'eau stagnante, d'un vert maladif. Une beauté toxique. On sait qu'en urbex, cette eau peut être un danger mortel au simple contact avec une plaie. La flore a tout envahi, les arbres ont brisé les murs. L'odeur nauséabonde de la décomposition s'ajoute à cette ambiance moite.

La Sortie

Je prends une dernière bouffée de cet air lourd. L'exploration touche à sa fin. Je me retourne vers la façade de l'hôtel. Il y a un contraste violent entre le bruit que j'ai laissé derrière moi — le silence, les craquements, les gouttes d'eau — et le monde qui m'attend à la sortie.

Je fais marche arrière. Le bruit de la tôle qui grince est mon signal de retour. Je laisse derrière moi l'odeur du bois pourri pour l'odeur de la forêt, l'obscurité et les reflets pour la lumière franche.

L'immersion est finie, mais les sensations restent, gravées. L'hôtel est resté là, figé, vivant, vibrant. Et moi, je retourne au bruit du monde, un peu plus riche de ce silence. Car cette expérience, que l’on appelle l’exploration urbaine, ou plus familièrement l’urbex, m'a offert le ressenti, un instant, du pouls oublié de ce monde. Un dernier frémissement traverse mon corps, et je retrouve ce village où mes sens, eux, retrouvent leur état naturel.

— Mathieu Laudet