Exploration frémissante d’un hôtel abandonné
Quatrième article de la série
L'entrée dans le silence
Je traverse le portail rouillé de l’ancien hôtel. Un pas suffisant
pour franchir la grille, et l'air lui-même change. Une seconde
avant, le bruit sourd, les voitures qui passaient... les bruits d’un
village ; maintenant, c'est le silence. Absolu. C’est le choc de
l’urbex.
Le vent glisse entre les pins, je sens l’humidité qui monte du sol
sous mes bottes s’enfonçant dans l'herbe haute. L'atmosphère se
densifie. Une frustration froide s'éveille, mêlée à une adrénaline
vive. L'air n'a plus la clarté de la forêt ; il porte un parfum
lourd de terre mouillée, de métal et de bois pourri qui m’assaille.
Je m'approche des façades, déjà dévorées par la végétation. La
lumière du soleil est une merveille ici : elle se brise contre les
vitres éclatées, dessinant des puits d'or sur le béton moisi. C'est
le spectacle fascinant de la nature qui revendique son territoire,
révélant la beauté des choses figées par le temps.
Je contourne une flaque d'eau terreuse. Le verre par terre chante un
"crac" trop aigu sous ma semelle, un son trop vivant dans ce lieu
mourant. La nervosité est là.
Premiers bruits, premières tensions
Et soudain, un mouvement furtif. Dans l'ombre sous l'escalier, une
tache rousse. Un renard qui s'est réveillé de ma présence. Il me
regarde, puis file au loin. Mon cœur s'emballe. Je respire à fond,
l'odeur âcre de la poussière me pique le nez, presque pour me
ramener à la réalité.
Puis, une nouvelle musique, irrégulière : CLAC…… CLAC.. CLAC… ! Ce
n'est pas un être vivant. C'est l'eau. Une goutte tombant du toit,
s'écrasant sur un objet métallique qui résonne dans la grande pièce,
rappelant que l’être vivant ici, c’est la nature. Un bruit
minuscule, mais qui résonne fort dans ce silence de cathédrale,
comme le compte à rebours d'un temps oublié. Je me fige, tous mes
sens tendus, à l'affût d'une voix humaine, d'un signe de danger.
J'étais si absorbé par les sons du dedans que j'ai manqué celui du
dehors. Un moteur. Mon sang se glace. Une camionnette, une vieille
Renault, s'est arrêtée devant le portail. L'ombre d'un homme qui
traîne une caisse... Policiers ? Squatteurs ? Je me plaque contre le
mur rugueux. Le temps est suspendu. Seul le tambour de mon pouls
martèle mes tempes.
Puis, le moteur reprend. Le bruit s’efface. Ouf. L'adrénaline se
retire doucement, laissant derrière elle un frisson. Je touche le
mur, froid, avant de me tourner vers l'intérieur, fasciné par la
beauté crue des murs écaillés et des tags fluorescents.
Le Sanctuaire Suspendu et le Toit Orange
Mon exploration m'appelle plus haut. C'est par cet escalier sombre
que je dois passer. Je monte. Mes pas font écho. Je touche la
balustrade, froide et rêche. En haut, un couloir étroit où les
éclats de verre et les tuiles craquent sous mes chaussures.
Je découvre une pièce isolée : une chaise au centre, des cordes. Les
mises en scène d'autres urbexeurs, leurs tags. Paradoxalement, leur
présence amplifie le vide. C'est ce qui rend l'endroit fascinant :
il a échappé à l'ère moderne, nous propulsant dans une autre époque,
à cent mètres d'un village banal.
Mon regard est attiré par le toit principal. Il est orange,
recouvert de milliers de tuiles brisées. Et là, sur un pilier, un
détail : Une statue. Petite, en marbre. Elle est intacte. Tout est
saccagé, mais elle demeure là, comme la gardienne du lieu. Elle est
intouchable. Je lui donne une âme. Elle me rappelle qu'au milieu de
cette décadence, il reste toujours un fragment d'éternité, une
histoire figée.
L'Annexe Toxique et le Dernier Frisson
Je quitte le bâtiment principal, poussé par ma curiosité. L'annexe
m'attend. Dehors, une petite structure. Dedans : des machines, et,
de façon étrange, quatre toilettes alignées, entourées de tas de
livres hébreux d’étude. C’est étrange et dérangeant. L'humidité est
intense, l'odeur de renfermé. J'ai l'impression tenace que quelqu'un
m'observe. L'adrénaline remonte.
Je me dirige vers la suite de ce mini bâtiment. Une piscine d'eau
stagnante, d'un vert maladif. Une beauté toxique. On sait qu'en
urbex, cette eau peut être un danger mortel au simple contact avec
une plaie. La flore a tout envahi, les arbres ont brisé les murs.
L'odeur nauséabonde de la décomposition s'ajoute à cette ambiance
moite.
La Sortie
Je prends une dernière bouffée de cet air lourd. L'exploration
touche à sa fin. Je me retourne vers la façade de l'hôtel. Il y a un
contraste violent entre le bruit que j'ai laissé derrière moi — le
silence, les craquements, les gouttes d'eau — et le monde qui
m'attend à la sortie.
Je fais marche arrière. Le bruit de la tôle qui grince est mon
signal de retour. Je laisse derrière moi l'odeur du bois pourri pour
l'odeur de la forêt, l'obscurité et les reflets pour la lumière
franche.
L'immersion est finie, mais les sensations restent, gravées. L'hôtel
est resté là, figé, vivant, vibrant. Et moi, je retourne au bruit du
monde, un peu plus riche de ce silence. Car cette expérience, que
l’on appelle l’exploration urbaine, ou plus familièrement l’urbex,
m'a offert le ressenti, un instant, du pouls oublié de ce monde. Un
dernier frémissement traverse mon corps, et je retrouve ce village
où mes sens, eux, retrouvent leur état naturel.
— Mathieu Laudet